Bertrand Tremblay, artiste, peintre, poète

Bertrand Tremblay, artiste, peintre, poète, photographie © de Richard Ste-Marie E n t r e v u e

Les petites misères: Écrire

Transcription de l'entrevue
du 3 novembre 2003
avec Richard Ste-Marie,
CKRL mf, extrait de l'émission no 1

Pour le format pdf, cliquer ici

 

“Richard Ste-Marie
- Bertrand Tremblay, pourquoi écrire?

Bertrand Tremblay
- Comme toute création, je pense que c'est une espèce de sentiment de vide, on a l'impression qu'il y a des choses qui ne sont pas dites et on a le goût d'ajouter à ce qui est. C'est l'insondable univers qui nous porte à écrire, c'est-à-dire que le monde est sans explications; c'est une situation qui est difficile à supporter, alors l'écriture tente un peu d'expliquer notre présence dans ce monde complexe et insondable jusqu'à un certain point.

Richard Ste-Marie
- Irais-tu jusqu'à dire qu'il s'agit d'une réparation du monde?

Bertrand Tremblay
- Certainement une réparation. J'ai vraiment l'impression que je n'ai pas répondu à toutes les questions qui m'absorbent, il y a des chaînons manquants dans toutes les personnalités, tu sais; dans une vie aussi, on essaie d'avoir une substance, d'avoir une continuité, mais sans l'écriture on est un petit peu décousu.

Richard Ste-Marie
- L'écriture, c'est un travail sur toi-même?

Bertrand Tremblay
- Nécessairement, parce que la matière de l'écrivain, c'est sa propre substance intérieure, je dirais. Moi, je peux le dire par rapport surtout à la poésie, mais je pense que même quelqu'un qui écrit un roman ou de la fiction puise dans ses fibres profondes.

Richard Ste-Marie
- Tu serais d'accord avec Claude Lelouch quand il dit que son fond de commerce, c'est lui-même?

Bertrand Tremblay
- Je pense que oui, l'écriture, c'est exigeant justement parce qu'elle nous oblige parfois à confronter des zones de notre personnalité que peut-être nous aurions le goût de contourner, mais inévitablement ces zones-là, elles s'amènent devant toi à un moment donné, il faut que tu leur fasses face. Beaucoup d'écrivains affrontent leurs démons et en font une création. D'une certaine façon, c'est une sublimation de certains des éléments de la personnalité.

Richard Ste-Marie
- Les gens ont l'habitude de dire: il y a l'inspiration. Comment ça arrive, le désir d'écrire, comment ça se manifeste, c'est quoi, la première manifestation?

Bertrand Tremblay
- Moi, le mot qui me vient quand on parle de source de l'écriture, c'est le cri. Je dirais que la première lueur de l'écriture est un cri. Ce cri-là, à force de l'apprivoiser, ça devient tranquillement de la musique et même à l'extrême ça devient du silence, c'est-à-dire que ça passe d'un état d'inconfort à un état qu'on apprivoise de plus en plus jusqu'à l'accepter et, finalement, ça devient le silence, dans le sens où la sérénité fait place au cri.

Richard Ste-Marie
- Écrire, c'est donner une forme au cri?

Bertrand Tremblay
- Certainement, en tous les cas pour moi, la poésie, c'est faire sortir de moi ce qu'il serait insupportable de garder. C'est parce que je ne tolère pas le silence autour et que je ne me contente pas non plus de disparaître sans laisser de traces; tu sais, il y a dans l'écriture la nécessité de contrer la disparition. Il faut s'impliquer vraiment dans ses textes pour prolonger sa propre existence. Inconsciemment ou consciemment, il y a dans l'écriture la volonté de défier la disparition qui est le lot de tous. En un premier temps, on peut penser qu'on va réussir à l'abolir, mais je dirais qu'en fréquentant ça, justement, on apprend à l'accepter de plus en plus et, finalement, notre écriture devient une consolation, sans nécessairement abolir la disparition - la disparition reste là quand même - mais on a essayé au moins (de moins disparaître) et ça nous a pacifié d'une certaine façon.

Richard Ste-Marie
- Ce processus de travail-là, ça veut dire qu'il ne se fait pas toujours facilement, il doit y avoir des entraves, des interdits, des empêchements?

Bertrand Tremblay
- Pour moi, une des entraves à la création, c'est la réalité elle-même. C'est-à-dire que, dans l'écriture, on veut réparer; donc, dans le monde littéraire, le réel est réparé, ce n'est pas le réel tel qu'on le connaît. La principale entrave à l'écriture, c'est d'être confronté au réel tel qu'il est, mais en même temps c'est ça qui donne le prix d'une oeuvre parce que justement elle défie le réel. Elle apporte quelque chose de plus au réel. Finalement, cette épreuve, c'est l'épreuve de tous les créateurs, que tous les auteurs vivent, donc on est est tous au même niveau là-dedans. On essaie tous ensemble de réparer le monde, bien qu'il soit, par plusieurs aspects, insupportable, je pense que tu vas être d'accord là-dessus?

Richard Ste-Marie
- Oui. Tu m'as déjà dit que le travail d'écriture, ça avait été une réponse à la peinture. Dans quel sens tu voulais-tu dire ça?

Bertrand Tremblay
- Ça, c'est vrai, je me suis trouvé à écrire de la poésie, mais au départ je voulais répondre à des critiques. En arts visuels, il y a beaucoup de théoriciens, il y a beaucoup de prétentions intellectuelles et, je me disais, mes oeuvres devraient être suffisantes, mais elles ne semblent pas suf-fisantes (pour les critiques), il faut rajouter un discours à la création visuelle. C'est dans cet esprit-là que j'ai commencé à écrire, sauf que je n'ai pas voulu devenir quelqu'un d'autre, je suis resté un créateur, je n'ai pas voulu édifier de théories de l'art; ça a été spontanément la poésie qui m'a reçu dans cet exercice-là. Alors, j'écris de la poésie, c'est une réponse artistique et créatrice à mon activité de créateur visuel.

Richard Ste-Marie
- Brassens disait: "Il y a trois thèmes, il y a la vie, il y a la mort, il y a l'amour". Ton inspiration, c'est quoi?
Bertrand Tremblay
- Pour moi, c'est fondamentalement la recherche de l'autre. Écrire, c'est d'abord réaliser qu'on est un être. Qu'on est seul et que tout autour il y a d'autres êtres aussi seuls. Comment fait-on pour atteindre les autres, finalement? Écrire, c'est essayer de réduire cette distance-là et même vouloir l'abolir. Encore une fois, je ne pense pas qu'on réussisse, l'autre demeure l'autre, et on ne peut jamais se fusionner totalement, mais pour moi il y a comme cette intention-là sous-jacente à toute mon écriture: ce serait d'approcher l'autre.

Richard Ste-Marie
- Est-ce que pour toi les moyens de communication nouveaux comme l'ordinateur, Internet, est-ce que ça a changé quelque chose à ce que tu dis ou dans ta façon de le dire?

Bertrand Tremblay
- Ça le permet peut-être plus immédiatement, sauf que, pour le fond, ça ne change pas quelles sont les motivations profondes, ça reste pareil. Le fait d'avoir ces outils-là, c'est peut-être pour nous donner une certaine indépendance. J'avoue que, grâce à ça, je peux moi-même
publier des choses, alors je n'ai pas besoin de frapper à la porte de quelqu'un d'autre, mais, quant au fond, je ne pense pas qu'il n'y ait rien de changé. Il y a toujours une intention chez un auteur, cette intention-là, jusqu'à quel point est-elle entendue, comprise? C'est ça, la vraie question, tous les moyens du monde n'y changeront rien. Il faut attendre une réponse, écrire c'est comme frapper à la porte: on peut frapper et ça peut prendre du temps avant qu'on nous réponde, ou on peut avoir une réponse immédiate. C'est ça, on est livré finalement à cette réponse-là.

Richard Ste-Marie
- Est-ce que l'écrivain a la conscience de l'existence d'un public, qu'il doit y avoir quelqu'un qui va répondre?

Bertrand Tremblay
- Eh bien, moi, j'essaie de l'inventer, l'autre; donc, j'en ai conscience, mais je ne peux pas dire que j'écris pour être lu. Au départ, c'est vraiment quelque chose que j'ai été chercher dans les profondeurs. Je pourrais dire que mes premiers jets, je ne les ai même pas choisis. Ils se sont imposés à moi. Mais j'ai appris à les apprivoiser, à les travailler. J'ai appris comment rédiger mes propres poèmes. Donc, à ce moment-là, ça devient un objet de communication. Mais, au départ, je n'écris pas en pensant à l'autre.

Richard Ste-Marie
- Le travail au quotidien d'un poète, ça ressemble à quoi?

Bertrand Tremblay
- En ce qui me concerne, je n'ai pas le contrôle de mes premiers jets. Ils s'imposent à moi. D'un autre côté, une fois ce premier travail fait, le travail de rédaction comme tel, je peux le faire à n'importe quel moment, ça peut être n'importe quel texte aussi. C'est un deuxième aspect du travail, c'est de la finition. Ce qui est le plus dur pour moi, c'est le premier jet, c'est-à-dire l'objet de ce qui me pousse à écrire, il faut que je le laisse venir. Il faut que je m'abandonne à cette pulsion. À un certain moment, je me rends compte que j'ai plusieurs textes, alors là il y a une intention de tout raffiner cet ensemble de textes-là, de leur donner une direction, de trouver que ça fait un tout. Ça, c'est vraiment un travail de rédaction, de créer un recueil. Mais je ne peux pas dire que j'ai choisi le sujet, que j'ai décidé d'écrire dans cette direction-là. Tout ça, ça s'est imposé.

Richard Ste-Marie
- Il y a une différence entre la créature et le désir?

Bertrand Tremblay
- La créature, c'est l'autre qui la fait exister. En un premier temps, ce n'est pas à cause de l'autre que tu écris, c'est pour toi, c'est dans un exercice vraiment intime que ça se produit. Une fois que tu as été au-delà de ça, vu que tu parles d'une créature, on va dire que c'est au départ une bête fauve, un animal sauvage, mais, tu l'as domestiquée tranquillement; alors, là, cette créature-là, elle ne t'appartient plus, c'est l'autre qui s'en empare. Mais je pense que c'est là le plus beau destin d'un texte ou d'une oeuvre d'art, c'est que quelqu'un se l'approprie.

Richard Ste-Marie
- Le sens est dans le lecteur, pas dans le texte?

Bertrand Tremblay
- Je dirais que celui qui écrit a tous les droits, il faut qu'il s'arrange avec les conséquences. Une fois que ton écriture s'est imposée dans le réel, ça ne t'appartient plus non plus. Certains vont se l'approprier, tant mieux si ça arrive, mais ça peux arriver que ce soit rejeté aussi ou incompris ou tout simplement qu'on ne perçoive pas ce que tu veux dire. Je pense que, dans l'écriture comme dans n'importe quel art, le jugement des autres intervient et je pense que les autres peuvent nous éclairer par leur réponse; ça peut nous donner des pistes d'écriture, des pistes de rédaction...

Richard Ste-Marie

Bertrand Tremblay est peintre et poète, il est aussi responsable de la revue Poésie qui en est à son sixième numéro; il a publié deux recueils de poésie, J'appelle, aux éditions Mémoire Vive, et Nous naissons sur le sable des comètes, au Loup de Gouttière.”

 

Automne 2003

Page d'accueil

courriel : brtremble@yahoo.com