O p i n i o n

De la matière et de l’esprit

“Mes tableaux, par leur nature matérielle, sont une invitation pour les sens. J’ai résolument pris cette orientation à la suite d’expériences dans lesquelles la matière, de même que le support de mes tableaux, avaient été maintes fois remis en question. Je suis persuadé maintenant que l’art d’aujourd’hui, tout autant que l’art du passé, communiquent avec nous par nos sens, grâce à notre sensibilité.

Cela n’empêche pas un tableau d’être aussi rendez-vous pour l’esprit. Bien au contraire, la réflexion est essentielle, mais elle ne doit pas assécher ni appauvrir l’oeuvre, ni la matière qui la constitue. Une oeuvre qui ne sollicite pas les sens laisse le spectateur insatisfait, l’oblige à créer lui-même un sens, à la place de l’artiste.

La sensibilité et l’émotion doivent selon moi émerger de la peinture. Nul besoin de spécialistes pour décoder un tel art. Le spectateur, confronté à l’oeuvre, ne se sent pas démuni puisqu’il vibre et expérimente au moyen de ce véhicule qui accède à sa sensibilité. Nul besoin, pour être touché, d’accompagner cette oeuvre d’explications élaborées dans en langage hermétique. L’oeuvre a le pouvoir d’émouvoir et, pour être ému, touché, bouleversé, il n’est pas nécessaire d’être spécialiste.

La découverte d’une oeuvre picturale, n’est-ce pas surtout la capacité de faire de cette oeuvre une expérience personnelle, d’être sensible et conscient de cette expérience? En musique, la beauté sonore des instruments nous conduit à la grandeur de l’oeuvre musicale, il doit en être ainsi en peinture : le langage pictural doit être suffisamment maîtrisé, suffisamment évocateur, suffisamment sensible, si on veut qu’il nous mène à la fascination.

Mes tableaux ne sont pas démunis d’idées ni de réflexion. On peut y observer la présence subtile et l’influence de courants importants ayant marqué la peinture. Expressionnisme, impressionnisme, surréalisme... Mes voyages dans l’Arctique m’auront cependant appris une nouvelle observation du monde. Je ne ressens plus de décalage entre mes perceptions et ma sensibilité artistique. Je suis capable de me référer à mon environnement immédiat, d’y être sensible, de le proposer picturalement. Cette capacité de perception et cette sensibilité sont les moteurs de ma pratique de la peinture. Mon inspiration ne vient donc pas des théories de l’art, mais de mon contact avec la nature, des impressions ressenties face au réel qui m’entoure.

Je m’attaque quotidiennement au métier de peintre et à la création avec un désir très fort de perfectionner mon langage, de peindre la nature, d’en faire une oeuvre expressive. En raffinant de plus en plus mon langage et mon observation, j’avance dans le réel et j’essaie de le rendre par une recherche de pureté face à ce monde et face à moi-même. La nature essentielle de l’esprit n’est-elle pas pureté, dit le Dalaï-Lama?

Je souhaite de tout coeur faire intimement pénétrer le spectateur dans ma façon de voir le monde et d’y être sensible. L’énergie de mes tableaux est une indication de la densité du réel, une façon sensible de le traduire d’une manière sensuelle, agréable à goûter, à entendre, à sentir, mais surtout d’une manière qu’il est agréable de voir...”

Bertrand Tremblay
Automne 2000